vendredi 19 juillet 2013

10 joyaux à restituer (8) Lully, Armide (Herreweghe, 1992)



Jean-Baptiste Lully
Armide
Guillemette Laurens, Howard Crook, Véronique Gens
Collegium Vocale, La Chapelle royale
Philippe Herreweghe
Enregistrement 1992
Label : Harmonia Mundi

Le renouveau Lully, on peut l'affirmer aujourd'hui, connut trois grands jalons, trois opéras enregistrés avec succès en moins de dix ans et qui rétablirent la place du compositeur comme père et premier en importance du répertoire français du Grand Siècle. Alceste fut ressuscité en 1975 par Jean-Claude Malgoire (CBS), une vision datée et pourtant indispensable, avec une très émouvante Felicity Palmer, que Sony ferait bien de nous rendre. Opiniâtre, Malgoire remonta Alceste et le réenregistra en 1992 pour Astrée, réussite indéniable cette fois, également indisponible, aujourd'hui dans le catalogue Naïve.

Bien entendu, la seconde étape fut Atys, choc de la saison lyrique parisienne en 1987, dont l'enregistrement CD fut restitué récemment, et que beaucoup n'ont pu réellement découvrir qu'à l'occasion du retour de la production Christie-Villégier en 2011, dont un DVD/Blu-Ray conserve heureusement la splendeur.

Le troisième jalon, fut en réalité second, remontant à 1983, lorsque Radio France et Philippe Beaussant eurent l'initiative d'une version de concert d'Armide, qui permit à Herreweghe de l'enregistrer pour Erato, de son propre aveu l'un de ses plus mauvais disques. Persévérant, le chef reprit l'œuvre et l'enregistra pour Harmonia Mundi en 1992, avec des voix souvent éprouvées cinq ans plus tôt dans l'Atys de Christie : Guillemette Laurens dans le rôle-titre, Howard Crook en Renaud, et puis Véronique Gens, Noémi Rime, Gilles Ragon... Malgré quelques coupures (mais aucune version plus complète n'existe à ce jour au disque !) et les quelques chutes de tension inévitables dans un enregistrement studio, cet Armide est traversé tout à la fois d'une efficacité dramatique, d'un sens rhétorique et d'une élégance qui ont depuis fait école, à entendre de nombreux enregistrements baroqueux actuels. Malgré quelques idées et Stéphanie d'Oustrac, la production Christie-Carsen du Théâtre des Champs-Élysées n'a pas fait mieux, et n'est de toute façon pas disponible en CD.

Il faut rappeler au passage qu'avant de laisser la jouissance du répertoire français à William Christie et ses élèves, le belge Philippe Herreweghe s'y était investi avec beaucoup d'intelligence, s'appuyant sur des chanteurs extraordinaires, et sur un merveilleux ensemble, La Chapelle royale, aujourd'hui dissous au profit d'un orchestre symphonique sans saveur. En témoignent ses grands motets de Rameau ou encore ses motets de Charpentier.

Après ces trois grands jalons suivirent les autres : le Phaëton de Minkowski (en attendant la prochaine sortie de Rousset), son Acis et Galatée quelques années plus tard, puis l'intéressant et bizarre Cadmus par Dumestre et Lazar. Les différents enregistrements ici cités (particulièrement ceux d'Alceste) mériteraient tous d'être réédités. Mais cet Armide, on peut le citer en premier, comme une priorité urgente, enregistrement proche de la perfection, saisissant, et bien plus parfait que ne l'était celui d'Atys, qui ne retranscrivait que très imparfaitement et froidement la réussite de la scène. Herreweghe, au contraire, concentre musicalement tous les outils nécessaires à ce que fonctionne la tragédie en musique. Il est à ce titre anormal que ce coffret si rare ne soit plus disponible qu'en téléchargement de mauvaise qualité, sur Amazon.fr ou un peu meilleure sur Qobuz. Que la maison de disques qui fit tant pour le renouveau du baroque français en fasse encore un peu pour exploiter son fabuleux catalogue... Armide serait un magnifique début !