La défunte collection BBC Legends se trouve encore, et de nombreuses références, y compris parmi les plus belles, sont même soldées à très petit prix sur certains sites. Pourtant, quelques absolus sont depuis longtemps épuisés et n'ont jamais été réédités. Le seront-ils ? Les questions de droits autour de ces enregistrements ne permettent pas de le prévoir, seule la BBC pourrait a priori relancer son activité discographique, ou céder les droits de son catalogue, ce qui n'est pas à l'ordre du jour.
Parmi la pléthore de disques édités voilà maintenant une dizaine d'années, quelques références incontournables figurent et en particulier ce disque-ci, l'un des quelques disques de piano qui atteignent un statut d'absolus. On connaît d'Annie Fischer ses enregistrements Hungaroton (des Mozart divins, et une intégrale Beethoven parmi les plus indispensables), et quelques disques EMI dans l'ensemble moins convaincants. On ne connaissait pas en revanche ces Schumann issus de deux récitals longtemps restés dans les greniers de la radio britannique.
Avec Fischer, les Kinderszenen sont à la fois des plus joueuses, presque turbulentes, et d'une subtilité digitale rarissime. Les Kreisleriana enregistrées le même soir de 1986 font aussi montre d'une maîtrise technique presque sans faille (bien moins faillible que la réputation d'Annie Fischer ne le dit souvent), mise au service d'un engagement hors normes, le résultat, énergique, ébouriffant, captivant, laissant à distance à peu près tous les concurrents de la discographie (hormis peut-être Elisso Virsaladze en concert à Stuttgart (Live Classics), et surtout à la Roque d'Anthéron (DVD Naïve)).
Enfin, et par-dessus tout, c'est la Fantaisie op. 17 qui reste en mémoire à l'écoute de ce CD, et en justifie le caractère indispensable. Qui comme Annie Fischer parvient, sans renoncer en rien à la virtuosité la plus éblouissante, à ménager ainsi et avec un tel soin des atmosphères qui révèlent chaque recoin de cette partition célébrissime ? Quel pianiste pousse aussi loin le pathos, l'expressivité, le romantisme le plus éperdu, sans jamais renoncer au respect de la forme, à l'équilibre quasi-architectural de chaque mouvement et de la Fantaisie dans son ensemble ?
Là encore, les comparaisons sont difficiles et Fischer règne presque sans rival. Seul Richter, surtout en live, surtout à Prague (et plutôt le 2 novembre 1959 (Praga) que la veille (Supraphon)) peut paraître aussi indispensable. Même les superbes lectures de Walter Gieseking (1947), d'Elisso Virsaladze (1995) ou de Sergio Fiorentino (1996) sont comme balayées par la lecture quasi-révolutionnaire d'Annie Fischer.
L'espoir est ténu de retrouver dans un avenir proche ce CD unique parmi les calatogues disponibles. On ne saurait cependant émettre une meilleure suggestion à la BBC, comme à tout éditeur qui chercherait de bons enregistrements à reprendre sous licence. Celui-ci est un joyau !