Jean-Philippe Rameau
François Couperin
Intégrale des œuvres pour clavecin
Scott Ross, clavecin du château d'Assas
Label : STIL
Enregistrement : 1975 (Rameau), 1977-1978 (Couperin)
Au rythme auquel son legs discographique est réédité, Scott Ross, le plus grand claveciniste que l'on ait connu depuis le renouveau de l'instrument, avec Leonhardt mais dans un style radicalement différent de ce dernier, pourrait bien sombrer dans l'oubli.
On peut heureusement se procurer, sous ses doigts, quelques disques enregistrés pour Erato et EMI, indispensables pour la fulgurance des lectures de Ross, et pour la personnalité débordante, saisissante de ce dernier.
L'intégrale Scarlatti en 34 CD, naturelle référence (et pourtant peut-être pas ce qui devrait retenir au premier abord l'attention dans la discographie du claveciniste canadien). Bach, incontournable et pourtant peu enregistré par Ross, si l'on excepte
les Goldberg pour EMI (repris par Virgin et couplées avec des Frescobaldi moins réussis, son dernier enregistrement), celles en concert
pour Erato, un bel album regroupant
Concerto italien, Fantaisie chromatique et Ouverture BWV 831. Déjà parmi le catalogue Erato, les vrais joyaux sont moins bien réédités :
le disque Soler est facile à trouver, mais il n'en va pas de même pour
les suites de Haendel de 1720, pour
les indispensables D'Anglebert, et pour
les meilleures Partitas de Bach jamais enregistrées, introuvables ou hors de prix. Il faut y ajouter quelques récitals édités d'une façon assez dispersée, par l'INA notamment.
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Scott Ross et le clavecin d'Assas |
C'est pourtant là une sorte de partie émergée du brûlant iceberg qu'a livré Ross, dont la disponibilité toute relative est presque une aubaine. Car les deux véritables météores du disque qu'il avait offerts dans les années 1970 sont, eux, totalement introuvables. En 1975, le jeune claveciniste, déjà connu pour de premiers disques Bach et Scarlatti et pour son prix de Bruges raflé à la surprise générale (1971), enregistre sur le clavecin du château d'Assas, ce fabuleux instrument anonyme qu'il ne cessera d'explorer, l'intégrale des œuvres pour clavecin seul de Rameau. Puis, deux ans plus tard, il entame l'intégrale Couperin dans l'été 1977, qu'il achèvera l'été suivant. Dans ce domaine perdu de l'Hérault sorti tout droit du XVIIIe siècle, au milieu des oiseaux que l'on entend sur les bandes, des cigales (et des rats, paraît-il, qui pullulaient dans la bâtisse), sous l'autorité de la maîtresse des lieux, madame Simone Demangel, Ross enregistra à vrai dire la majorité de ses disques (notamment par la suite l'intégrale Scarlatti), et fit souvent entendre aux auditeurs venus s'y perdre, l'un des plus beaux clavecins historiques qui fut dans les meilleures conditions que l'on pût imaginer. Ce château où Ross est mort en 1989 restera comme un lieu à part, celui d'une révélation, d'un renouveau, d'une transmission.
Réédités en CD après leur sortie en 33 tours, les disques STIL disparurent ensuite avec le naufrage de cette petite maison de disque française, dont le propriétaire Alain Villain avait fait beaucoup pour le renouveau du baroque en France (outre les enregistrements de Scott Ross, il y eût ainsi l'édition des
Boréades, malgré l'imbroglio juridique qui l'entoura ensuite et empêcha longtemps les performances de fleurir). Monsieur Villain n'a jamais accepté de céder les droits à d'autres maisons de disques (ni de les diffuser gratuitement) et laisse dormir ce patrimoine inestimable, privant le public d'enregistrements qui, moralement sinon juridiquement, n'appartiennent à personne. Dans le même temps les piratage de ces disques sur internet prolifère, mais est-il vraiment condamnable de recourir au seul moyen actuel d'entendre ces trésors ?
Il faudrait d'ailleurs à ces deux ensembles ajouter les autres enregistrements Stil, le premier disque (Bach) de 1971, les sonates K.1 à 30 de Scarlatti (1973), les deux messes pour orgue de Couperin.
Sera-t-il un jour donné de retrouver enfin cet ensemble discographique majeur de l'un des plus grands artistes du siècle passé, enfin édité comme il se doit ?
En attendant, un petit extrait avec l'Allemande de la suite en mi mineur de 1724 de Rameau ; et
La favorite, chaconne du 3e ordre de Couperin.