lundi 20 janvier 2014

Claudio Abbado (1933-2014)


Il y a des morts qui, si elles ne surprennent pas tant elles ont même été annoncées d'avance (combien de fois Abbado fut-il enterré par la rumeur ces quinze dernières années ? Combien de spectateurs espérant voir son « dernier concert » à chacune de ses apparitions ?), meurtrissent pourtant, plus profondément encore qu'on le craignait. Et la tristesse qui envahit les mélomanes aujourd'hui, admirateurs anciens d'Abbado ou séduits par l'artiste dans sa période lucernoise, ne trompe pas sur l'importance de la figure disparue aujourd'hui, 20 janvier 2014, sur son statut. Claudio Abbado était un grand artiste, comme une discipline (la direction d'orchestre en l'occurrence) n'en connaît que deux ou trois par siècle.

Ceux qui ne l'ont jamais entendu en concert ne peuvent comprendre qu'imparfaitement. Heureusement, les témoignages en vidéo du festival de Lucerne permettent de saisir comment la générosité légendaire d'Abbado (dans son métier comme dans sa vie) se traduisait en gestes, en sourires, en une personnalité rayonnante qui ne pouvait que permettre aux musiciens de se transcender pour lui et grâce à lui. Mais ce n'est pas tout. Abbado était l'un des seuls aujourd'hui dont on pouvait encore reconnaître un « son ». À la tête du London Symphony Orchestra, des Berliner Philharmoniker, ou bien d'orchestres plus jeunes comme l'orchestre Mozart de Bologne auquel il consacrait l'essentiel de son temps ces dernières années, Claudio Abbado arrivait à reproduire à chaque concert le miracle d'une sonorité unique, ronde, moelleuse, et dense à la fois, une pâte sonore qui pourtant n'atténuait jamais la précision de l'articulation et que l'on retrouvait dans ses interprétations de Mozart ou de Beethoven (le cycle enregistré en concert à Rome avec Berlin restant en la matière une leçon). Et à cela s'ajoutait la qualité d'écoute exceptionnelle entre pupitres, qui seule permettait une telle grâce dans chaque intervention, chaque solo, et des vents aussi éclatants, détendus, spontanés, fontaine de jouvence sonore, là aussi quelle que soit la phalange dirigée.

http://www.amazon.co.uk/gp/offer-listing/B000001GS3/?ie=UTF8&camp=1634&condition=used&creative=19450&linkCode=ur2&tag=bonsplansclas-21Pendant plus de trente ans, Claudio Abbado fut toujours considéré comme un jeune chef. Jamais comme un révolutionnaire, mais comme l'héritier de la tradition viennoise (par l'intermédiaire notamment de Hans Swarowsky son professeur, et de Bruno Walter qu'il admirait tant), capable d'allier l'élégance et le drame. Ce n'est pas un hasard si Abbado fut d'abord connu comme chef d'opéra, à la tête de la Scala (1968-1986) et dans Verdi particulièrement. Pour approfondir cet aspect on peut se reporter en premier lieu à ses Macbeth, Simon Boccanegra ou encore Il ballo in maschera, ainsi qu'à un excellent album de chœurs verdiens.

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Mais ce n'est pas à Lucerne, sous les caméras du monde et devant une concentration de l'élite sociale mondiale, qu'Abbado accomplissait l'essentiel de sa tâche. Bâtisseur dans l'âme, Abbado a consacré pendant toute sa carrière et à travers les postes qu'il a occupés son énergie à créer des orchestres pour promouvoir de jeunes musiciens et renouveler en profondeur le paysage musical européen. L'orchestre des jeunes de la Communauté européenne, le Chamber Orchestra of Europe qui en émane, le Mahler Jugendorchester et son extension professionnelle le Mahler Kammerorchester, l'orchestre Mozart de Bologne, la saison musicale de Ferrare. La discographie du maître regorge ainsi d'enregistrements avec ces ensembles et qui parfois plus que les enregistrements avec les plus grands orchestres laissent entendre la « patte » Abbado, au plus près de l'impression du concert. Cela commence avec les enregistrements de concertos de Mozart avec le COE et Serkin et l'intégrale Schubert avec le COE, jusqu'aux concertos pour violon de Mozart avec Carmignola et l'orchestre Mozart ou, plus récemment encore, à ses concertos pour vents avec l'orchestre Mozart et ses solistes.

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Enfin, le tableau ne serait pas complet sans mentionner l'engagement sans faille d'Abbado pour le répertoire du XXe siècle, y compris le plus difficile à défendre, depuis Debussy (un Pelléas de référence), Hindemith (indispensable disque des œuvres symphoniques), Berg (indispensable Wozzeck, et un disque d'anthologie avec Margaret Price), jusqu'à Luigi Nono et György Ligeti (Atmosphères).

Abbado manquera. Il disparaît après une carrière complète, et après avoir marqué le plus large public de la musique dite classique, comme une preuve que les monstres sacrés ne sont pas réservés à des temps révolus. Il sont surtout reconnus généralement comme tels alors qu'ils ne sont plus là.