Baden Baden, 2009. Photo Philippe Gontier
Compositeur, chef d'orchestre, théoricien, pédagogue, professeur au Collège de France, intellectuel aux expressions multiples et paradoxal, anticonformiste qui incarna mieux que quiconque l'institutionnalisation de la musique pendant un demi-siècle, honni de quelques-uns et révérés de beaucoup, Pierre Boulez est mort hier, 5 janvier 2016, à Baden-Baden où il vivait. Quelques mois après son 90e anniversaire célébré un peu tristement, alors que sa santé ne lui permettait plus de diriger depuis quelques années, il rejoint ses maîtres, mentors, collègues et amis, de Mahler à Berio en passant par Berg, Stravinsky, Carter, Chéreau et Abbado.
La carrière de Pierre Boulez ne peut être évoquée en quelques lignes, et l'ampleur de son travail ne saurait d'ailleurs être comprise par la seule approche discographique, mais à ceux qui ne le connaîtraient pas ou mal, le disque peut permettre d'approcher un homme qui, par ses différentes activités, traversa le siècle musical comme d'autres le firent par l'art ou la littérature.
Plusieurs des rééditions heureuses qui furent entreprises il y a quelques mois sont aujourd'hui disponibles à prix raisonnables. Le coffret « Complete Columbia Album Collection » (Sony, 67 CD) (89,90 €) comprend ainsi le legs le plus important, le plus varié de Pierre Boulez, des Schoenberg, Berg, Bartok et Stravinsky d'anthologie, mais aussi des raretés qu'on ne l'a pas entendu diriger depuis des décennies (Haendel, Beethoven).
Pour aller plus loin, le coffret consacré aux enregistrements du Domaine musical 1956-1967 (Accord, 10 CD) (33,19 €) rendent compte de cette première époque de la carrière du chef qui, tout en dirigeant pour vivre des partitions d'opérette et de musique de scène, créa grâce à des soutiens privés ce premier groupe de recherches musicales, à la pointe de l'avant-garde dans l'Europe d'après-guerre. Une aventure collective qui lança le chef et compositeur, et permit la réhabilitation et la défense d'une musique qui peinait à sortir, dans les milieux musicaux, de son « étiquetage » de dégénérée par l'occupant nazi. Le legs Erato (14 CD) (21,83 €) est complémentaire puisqu'il va de 1966 à 1992 et fait entendre certains des plus beaux enregistrements de Boulez, notamment dans ses partitions les plus fondamentales comme Pli selon pli, Le visage nuptial ou Figures, doubles, prismes.
Enfin, les enregistrements Deutsche Grammophon sont de manière générale plus tardifs et comprennent des œuvres déjà enregistrées, parfois plusieurs fois, par Pierre Boulez. Parfois moins incisifs, moins tendus, ils montrent toutefois toujours l'artiste à l'œuvre avec son souci perpétuelle de l'exactitude, du détail, le tout servi par des orchestres et des prises de son renversants, comme on le constate dans de sublimes Ravel et Debussy. Le généreux coffret (44 CD) consacré au XXe siècle (77,22 €), y compris les œuvres de Boulez lui-même, se complète par son intégrale Mahler (14 CD), sa dernière grande entreprise discographique, devenue rapidement incontournable, et quelques enregistrements additionnels de musique du XIXe siècle tardif, notamment son révolutionnaire Parsifal (3 CD), un album Scriabine incluant le Poème de l'extase, avec l'orchestre de Chicago, et sa seule incursion en territoire brucknérien : la 8e symphonie avec les Wiener Philharmoniker.
En vidéo, le complément le plus naturel de cet ensemble discographique débute par le légendaire Ring des Nibelungen (9 DVD) : la production du centenaire, mise en scène par Patrice Chéreau et qui fit scandale à Bayreuth, est incontestablement devenue l'une des plus admirées et efficaces, et le symbole du renouvellement de la mise en scène d'opéra dans le dernier demi-siècle, loin des décors surchargés d'une mythologie de pacotille et des solos statiques. Puis, la réédition par Euroarts de 10 DVD de concerts, enregistrements et documentaires offre un ensemble inestimable, avec des enregistrements d'archive désormais mythiques et la belle prestation gratuite et populaire, selon un engagement qui ne le quitta pas, donnée en 2008 sous la pyramide du Louvre à l'occasion de la Fête de la musique, avec l'orchestre de Paris, dans L'Oiseau de feu. Enfin d'autres enregistrements isolés restent à saisir, notamment De la maison des morts de Janácek, mis en scène par Patrice Chéreau, à Aix-en-Provence, en 2007.
Reste dans tout cela quelques regrets, des absents que les éditeurs n'ont pas encore daigné rendre à nos oreilles et à nos yeux. Peut-être le dernier hommage rendu à la plus grande figure de la musique française depuis Debussy et Ravel le vaudra-t-il ? À titre d'exemple, voici, sous leur seule forme accessible aujourd'hui, deux monuments : l'enregistrement en studio du Sacre du printemps avec l'orchestre national de l'ORTF en 1963, et la production de Lulu à l'Opéra de Paris, mise en scène par Patrice Chéreau, qui en fit pour la première fois entendre le troisième acte en 1979. Il n'existe malheureusement pas de meilleure qualité d'image disponible à ce jour.
Pour aller plus loin, le coffret consacré aux enregistrements du Domaine musical 1956-1967 (Accord, 10 CD) (33,19 €) rendent compte de cette première époque de la carrière du chef qui, tout en dirigeant pour vivre des partitions d'opérette et de musique de scène, créa grâce à des soutiens privés ce premier groupe de recherches musicales, à la pointe de l'avant-garde dans l'Europe d'après-guerre. Une aventure collective qui lança le chef et compositeur, et permit la réhabilitation et la défense d'une musique qui peinait à sortir, dans les milieux musicaux, de son « étiquetage » de dégénérée par l'occupant nazi. Le legs Erato (14 CD) (21,83 €) est complémentaire puisqu'il va de 1966 à 1992 et fait entendre certains des plus beaux enregistrements de Boulez, notamment dans ses partitions les plus fondamentales comme Pli selon pli, Le visage nuptial ou Figures, doubles, prismes.
Enfin, les enregistrements Deutsche Grammophon sont de manière générale plus tardifs et comprennent des œuvres déjà enregistrées, parfois plusieurs fois, par Pierre Boulez. Parfois moins incisifs, moins tendus, ils montrent toutefois toujours l'artiste à l'œuvre avec son souci perpétuelle de l'exactitude, du détail, le tout servi par des orchestres et des prises de son renversants, comme on le constate dans de sublimes Ravel et Debussy. Le généreux coffret (44 CD) consacré au XXe siècle (77,22 €), y compris les œuvres de Boulez lui-même, se complète par son intégrale Mahler (14 CD), sa dernière grande entreprise discographique, devenue rapidement incontournable, et quelques enregistrements additionnels de musique du XIXe siècle tardif, notamment son révolutionnaire Parsifal (3 CD), un album Scriabine incluant le Poème de l'extase, avec l'orchestre de Chicago, et sa seule incursion en territoire brucknérien : la 8e symphonie avec les Wiener Philharmoniker.
En vidéo, le complément le plus naturel de cet ensemble discographique débute par le légendaire Ring des Nibelungen (9 DVD) : la production du centenaire, mise en scène par Patrice Chéreau et qui fit scandale à Bayreuth, est incontestablement devenue l'une des plus admirées et efficaces, et le symbole du renouvellement de la mise en scène d'opéra dans le dernier demi-siècle, loin des décors surchargés d'une mythologie de pacotille et des solos statiques. Puis, la réédition par Euroarts de 10 DVD de concerts, enregistrements et documentaires offre un ensemble inestimable, avec des enregistrements d'archive désormais mythiques et la belle prestation gratuite et populaire, selon un engagement qui ne le quitta pas, donnée en 2008 sous la pyramide du Louvre à l'occasion de la Fête de la musique, avec l'orchestre de Paris, dans L'Oiseau de feu. Enfin d'autres enregistrements isolés restent à saisir, notamment De la maison des morts de Janácek, mis en scène par Patrice Chéreau, à Aix-en-Provence, en 2007.
Reste dans tout cela quelques regrets, des absents que les éditeurs n'ont pas encore daigné rendre à nos oreilles et à nos yeux. Peut-être le dernier hommage rendu à la plus grande figure de la musique française depuis Debussy et Ravel le vaudra-t-il ? À titre d'exemple, voici, sous leur seule forme accessible aujourd'hui, deux monuments : l'enregistrement en studio du Sacre du printemps avec l'orchestre national de l'ORTF en 1963, et la production de Lulu à l'Opéra de Paris, mise en scène par Patrice Chéreau, qui en fit pour la première fois entendre le troisième acte en 1979. Il n'existe malheureusement pas de meilleure qualité d'image disponible à ce jour.
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Pour aller plus loin, le beau portrait en ligne proposé par France Musique il y a quelques mois, et la dernière conférence de Pierre Boulez au Collège de France, en 2013, dans le cadre du cours d'Antoine Compagnon sur Marcel Proust.